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Comment surmonter un échec professionnel ?

Tantôt honni, tantôt survalorisé, il nous remet toujours en cause, parfois jusqu'à l'absurde. Nous avons interviewé des experts de l'échec pour savoir comment dépasser un insuccès notoire.

Yann Sommer, gardien de l'équipe suisse, qui arrête le penalty tiré par Kylian Mbappé, à Bucarest (Roumanie) le mardi 29 juin 2021 à l'occasion de la coupe d'Europe de football.
Yann Sommer, gardien de l'équipe suisse, qui arrête le penalty tiré par Kylian Mbappé, à Bucarest (Roumanie) le mardi 29 juin 2021 à l'occasion de la coupe d'Europe de football. (Vadim Ghirda/AP/SIPA)

Par Florent Vairet

Publié le 8 juil. 2021 à 18:22Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

« Je suis désolé pour ce penalty. J'ai voulu aider l'équipe mais j'ai échoué. Trouver le sommeil sera difficile. » Le tweet de Mbappé laisse à voir le désarroi dans lequel le footballeur est plongé après son tir au but raté lors de l'Euro. Du haut de ses 22 ans, l'attaquant accepte d'endosser l'élimination de la sélection tricolore. D'abord auprès de son équipe où on imagine que l'ambiance des vestiaires a pu être âpre, mais aussi et surtout auprès des fans de football que l'on sait parfois intraitables. Twitter n'a d'ailleurs pas attendu pour lui faire porter le chapeau, allant même jusqu'à des injures racistes et xénophobes contre le jeune joueur.

Bien sûr, la France ne s'est pas qualifiée à cause du tir au but raté de Mbappé. Tous les commentateurs avertis savent que cet échec est avant tout collectif, voire systémique. Les autres joueurs, l'entraîneur Didier Deschamps (qui vient d'être reconduit à son poste jusqu'au Mondial 2022), le staff, la Fédération de football, les spectateurs… tous ont une part de responsabilité. Pourtant, Mbappé s'est senti obligé de s'excuser. Il sait qu'il aura beau connaître les plus belles victoires, l'histoire retiendra que c'est son penalty raté qui a éliminé la France de l'Euro 2021.

Sa carrière continuera-t-elle ? Sans aucun doute. La planète football connaît le talent du jeune prodige. En revanche, s'en relèvera-t-il rapidement ? C'est à cela qu'on remarque les grands champions, à en croire Patricia Costantini, ancienne cadre au ministère des Sports, chargée du suivi socioprofessionnel des sportifs de haut niveau. « Le sport professionnel exige un sacré mental. Il existe très peu de sports où on ne connaît pas l'échec… » Pour cette professionnelle, tout se joue sur l'image de soi. « Un sportif de haut niveau qui a une vision saine de lui-même peut analyser l'ensemble de sa carrière et prendre du recul sur un raté. »

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Si l'échec est si banal, pourquoi un tel désir de mea culpa ? « On retrouve ici la tendance classique à vouloir trouver un bouc émissaire, analyse Julien Cusin, professeur des universités en management à l'IAE Bordeaux et auteur du livre 'Comment surmonter un échec professionnel ? Le rôle de l'accompagnant' paru en 2017. Alors que l'échec est avant tout collectif, il faudrait chercher plutôt explication qu'un coupable. »

Deux types d'attitudes face à l'échec

Culpabilité, bouc émissaire, excuses… Les schémas se répètent face aux échecs, que ce soit dans le monde du sport, de l'entreprise ou dans la vie sentimentale. Pour ce dernier cas, Les Echos START se passeront de prodiguer des conseils, en revanche, pour le second, nous savons ô combien il peut être difficile d'affronter le refus d'une promotion, d'une augmentation de salaire, ou plus grave, d'une faillite d'entreprise surtout quand on est aux responsabilités. « Un chef d'entreprise dit souvent que sa boîte, c'est son bébé, il la personnifie. Hélas, la faillite est elle aussi souvent personnifiée, souligne Julien Cusin. Sans compter qu'après la chute d'une première entreprise, il est difficile de regagner la confiance des partenaires, qui pensent encore trop souvent 'qui a bu boira'. »

Comment les personnes surmontent-elles un échec ? Leur capacité dépend de leur personnalité. Il y a deux types de réactions, précise Emilie Devienne, coach certifiée depuis 2004 et vice-présidente de la Société française de coaching. « Celles qui vont assumer et prendre leurs responsabilités, puis débriefer avec les équipes. L'objectif : ne pas être dans le déni. Mbappé en présentant ses excuses est dans ce cas de figure », ajoute la professionnelle. « C'est une posture qui permet de briller par son courage », surenchérit Noémie Le Menn, psychologue du travail et également coach.

Authenticité vs. fierté

Hélas, tout le monde ne se drape pas d'autant de vertus. Certaines personnes auront tendance à cacher un raté sous le tapis ou à essayer de se dédouaner. « Je suis en retard à cause du métro », « c'est le logiciel qui a planté » ou encore « j'ai reçu les documents hors délais ». « Une attitude d'authenticité mènera au contraire vers une confiance renouvelée auprès de ses collègues », estime Emilie Devienne, qui précise que dans bien des cas, faire son mea culpa en public plonge l'entourage dans une certaine empathie : « ok il a échoué mais je n'aimerais pas avoir de telles responsabilités ».

Alors que faire si votre personnalité vous amène à être du mauvais côté de la barrière ? « C'est une affaire de volonté. Que ce soit avec des lectures, du coaching ou avec cet article, ces postures s'apprennent ! » martèle la coach.

Le rôle de la hiérarchie et des accompagnants

Reste que la personnalité ne peut pas tout. Dans un environnement toxique, malveillant, les chances ne sont pas de votre côté pour rebondir. Comme dans le cas de Mbappé, au-delà du responsable direct, tous les maillons de la chaîne doivent assumer. Être soutenu est primordial pour se relancer dans un projet. « Et l'idée n'est pas de dire 'de toute façon je serai pardonné' mais plutôt 'l'entreprise a une vision systémique de cet échec et tout le monde prend sa part'. »

Face aux échecs, Laura Muresan-Vintila, étudiante et classée 6e mondiale en natation synchronisée, reconnaît que son préparateur mental joue un rôle déterminant dans sa carrière. « J'en ai toujours eu et je suis convaincu que c'est ce qui fait la différence ! » avance-t-elle. Il l'accompagne avec différents outils, que ce soit la relaxation, la mindfulness (pleine conscience en français) ou la visualisation de ses performances.

En entreprise, tout va dépendre du manager, du patron. En d'autres termes, de la culture d'entreprise. « Certaines sont propices à la seconde chance et diffusent une atmosphère de sécurité psychologique. Et si échec il y a, le salarié concerné ne sera pas empêché de gravir les échelons », constate sur le terrain Julien Cusin. Et ce professeur d'université de citer l'exemple de James Burke qui était chef de produit chez Unilever. Ce dernier avait proposé une gamme pour enfants qui a été un échec commercial mais a fini par se faire embaucher comme PDG du grand concurrent, Jhonson & Jhonson. « La culture de l'innovation, c'est ce droit à l'erreur, cette attitude à avoir vis-à-vis des salariés », estime-t-il.

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La frontière entre la persévérance et l'obstination est souvent ténue

D'autant qu'il ne faut pas dramatiser les échecs. En entreprise, beaucoup sont rattrapables, dans une ampleur parfois inespérée. On ne cite plus l'exemple du Post-it né en 1964 lors de l'essai d'un chimiste de l'entreprise 3M. Il cherchait à inventer une colle mais cette dernière n'a jamais… collé. Un brevet plus tard, le Post-it est désormais l'indispensable de tout bon brainstormer. Dans la série « échec devenu machine à cash », J. K. Rowling détient sans doute la palme. Son manuscrit, maintes fois refusé, a finalement été accepté par un éditeur. La suite est connue : Harry Potter est l'une des sagas les plus rentables de l'histoire de l'édition (et du cinéma).

L'échec est échec tant qu'il n'est pas réussite . Oui, mais attention à ne pas le survaloriser à tous crins, façon Silicon Valley. « Parfois ça marche : des entreprises comme Eli Lilly (un des grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux, NDLR) célèbre les échecs autour d'une « failure party ». Parfois, ça ne prend pas », relève Julien Cusin qui donne l'exemple de la Maif, où la culture du droit à l'erreur et de la bienveillance est pourtant forte, qui a tenté de célébrer de la même façon les échecs. « Mais la greffe n'a pas pris », précise-t-il.

L'attitude entre l'échec et l'innovation est une ligne de crête, « avec une frontière souvent ténue entre la persévérance et l'obstination », selon le professeur d'université. « Après plusieurs refus, la famille de J.K. Rowling a sûrement dû se dire qu'elle était obstinée », poursuit-il. Jusqu'à ce qu'elle parvienne à décrocher un contrat et soit vue comme persévérante.

Florent Vairet

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