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Décryptage

Avec la fin du 100 % télétravail, le retour du bleisure

Si vous profitez d'un déplacement professionnel en France ou à l'étranger pour jouer au touriste, alors vous pratiquez le  bleisure, contraction de « business » (affaires) et « leisure » (loisirs). Les jeunes raffolent de cette tendance appelée à évoluer sous l'impact du Covid, alors même qu'elle fait flipper les entreprises.

Bleisure est le mot-valise anglophone composé de « business » et « leisure », qui signifie pratiquer ses loisirs sur ses heures de boulot.
Bleisure est le mot-valise anglophone composé de « business » et « leisure », qui signifie pratiquer ses loisirs sur ses heures de boulot. (iStock)

Par Corinne Dillenseger

Publié le 15 juin 2021 à 07:03Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Le phénomène n'est pas vraiment nouveau et les dernières études sur le sujet (réalisées avant la Covid) sont unanimes pour vanter l'attrait grandissant du bleisure, en particulier auprès des jeunes. En 2019, 90 % des Millennials s'étaient offerts un peu de temps libre pour visiter un musée, découvrir un site touristique ou faire du shopping, avant, pendant ou après un déplacement professionnel. C'est plus que les X (81 %) et que les baby-boomers (80 %), selon l'enquête annuelle de National Car Rental. Et parmi tous ceux qui en ont profité, neuf sur dix se disaient bien plus heureux que ceux qui n'ont pas franchi le pas. « Le bleisure est-il l'avenir du voyage d'affaires ? » s'interrogeait l'éditorialiste Toby Skinner dans le Financial Times, le 1er juin.

Aurélie Krau, spécialiste de la Travel Tech, est en tout cas enthousiaste. « Le bleisure, j'en ai fait mon style de vie, affirme cette pétillante trentenaire, jointe à Dubaï. Je n'hésite pas à ajuster mes horaires de travail si cela signifie que je peux profiter de ma destination, même si ce n'est que le temps d'un bon repas, d'une pause shopping, d'un passage rapide par le centre-ville ou dans le meilleur des cas, de nuits supplémentaires sur place ».

Le top du bien-être au travail

Pour cette digital nomade, le bleisure signe la fin des allers-retours express, du jet-lag, du stress, voire du burn-out, bref de tous les impacts négatifs liés aux trop nombreux voyages professionnels. « Au contraire ! Ajouter des pauses loisirs pendant un déplacement développe la performance, la motivation et le bien-être », martèle la jeune femme. Des avantages corroborés par l'étude 2019 de l'Ifop pour Emirates TBWA Corporate. Neuf voyageurs d'affaires sur dix estiment que le bleisure est un bon moyen pour s'épanouir au travail et pour concilier sa vie perso et sa vie pro.

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« Le bleisure est symptomatique d'une mutation profonde de notre rapport au travail que l'on désire plus flexible, plus mobile, plus fun, estime Aurélie Krau. Grâce au Cloud et aux nouveaux outils collaboratifs, il est devenu très facile de travailler depuis n'importe quel endroit du monde tout en profitant de la ville dans laquelle vous voyagez. Il suffit de bien s'organiser ». Et de bien respecter les réglementations sanitaires qui s'imposent depuis que le Covid a bouleversé le voyage d'affaires.

La consultante se montre confiante. Selon elle, l'engouement pour le bleisure va revenir, voire sous une autre forme : « Le bleisure va se conjuguer avec le 'Work From Anywhere' car les entreprises ont enfin pris conscience que travailler à distance, c'est possible. Elles vont aussi chercher à trouver le bon équilibre entre impact carbone, budget et fréquence des déplacements professionnels ».

Se faire tracker pour plus de sécurité

En attendant, les boîtes se montrent plutôt frileuses face au développement de cette tendance. Pour Michel Dieleman, président de l'AFTM, l'Association française du travel management (400 entreprises adhérentes dont les deux tiers du CAC 40), le frein principal concerne la responsabilité de l'entreprise en cas d'accidents ou de problèmes de santé du salarié voyageur : « Légalement, dès lors que votre employeur vous paye votre billet de transport, vous êtes sous sa responsabilité ». Et ceci même si vous allez boire un verre dans un bar le soir avec un client, que vous visitez en douce une expo ou que vous improvisez une balade à dos de chameau.

La solution ? Formaliser le bleisure entre l'employeur et le salarié, comme le précise Charline Gelin, directrice des Solutions de Sécurité chez International SOS, citée par le site Voyages d'affaires. « Quelle que soit la position de l'entreprise sur ce sujet, cela doit être écrit noir sur blanc. Il faut fixer des limites dans le temps, déterminer quand le voyageur est pris en charge par l'entreprise, et s'assurer qu'il a bien signé les papiers garantissant qu'il est assuré et assisté en cas de problème ».

L'ennui c'est que cette procédure s'avère bien lourde et trop contraignante pour être tout le temps appliquée et respectée. Alors certaines entreprises rêvent à une alternative : localiser en temps réel leurs salariés voyageurs. Un peu limite sur le plan légal mais pas seulement. Qui a envie de se faire fliquer par son boss à l'autre bout du monde ? « Nous serions nombreux à l'accepter, s'exclame Aurélie Krau qui a posé la question à un panel de voyageurs en bleisure. Te faire géolocaliser pendant ton trekking pour que ton entreprise sache où tu es en cas de problème et te porte assistance, c'est plutôt rassurant. Il ne faut pas oublier que c'est ton employeur qui paie ton vol. C'est donnant-donnant ! ».

Loin du bureau, loin du boulot

Outre ses aspects juridico-légaux, le bleisure a aussi du mal à s'imposer dans les mentalités. Jouer au touriste alors qu'on est censé bosser n'est pas toujours bien perçu, comme l'a constaté Vincent, jeune ingénieur environnement dans l'agroalimentaire. « J'ai participé à un salon professionnel à Lisbonne. Je devais rentrer vendredi, mais j'ai prolongé jusqu'au dimanche après-midi, avec un vol retour au même prix pour l'entreprise et un Airbnb payé de ma poche. La plage de Cascais était magnifique et je l'ai postée sur mon compte Instagram. A mon retour en France, je me suis fait chambrer par mes collègues et recadré gentiment par mon supérieur. Depuis, je fais profil bas ».

Selon l'agence Egencia, un voyageur d'affaires sur cinq dans le monde renonce à ajouter du loisir à ses déplacements business en raison de la perception qu'en aurait l'employeur. 45 % des jeunes préfèrent se taire de peur d'être stigmatisés, selon l'étude National Car Rental. « Le bleisure est encore tabou, confirme Aurélie Krau. La pratique est plus officieuse qu'officielle, on préfère rester discret. C'est dommage parce que les entreprises auraient tout à gagner à avoir une politique ouverte sur le sujet ». Même constat pour Michel Dieleman de l'AFTM : « Avec la guerre des talents, le bleisure représente un atout fort pour la marque employeur ». Une opinion qui se reflète dans les chiffres : 80 % des voyageurs d'affaires se disent prêts à quitter leur employeur pour rejoindre une entreprise facilitant cette pratique. La majorité d'entre eux a moins de 35 ans.

Corinne Dillenseger

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