Publicité
Tribune

Opinion | Et pourtant, leur travail a du sens !

Selon une enquête, 40 % des infirmiers ont envie de changer de métier. La crise sanitaire n’est pas la cause de ces désengagements, mais plutôt un amplificateur d'un mal plus profond, écrit Laurent Polet, professeur en management.

218551-1.jpg

Par Laurent Polet (Professeur en Management & Fondateur Primaveras)

Publié le 18 mai 2021 à 09:41Mis à jour le 18 mai 2021 à 13:21

Une récente consultation menée par l'Ordre des infirmiers a mis en évidence que 40 % de ses professionnels affirme avoir envie de changer de métier. Pourtant, cette enquête, destinée à donner des perspectives de carrière à la profession, révèle des causes bien plus profondes que celles qui seraient uniquement liées à la conjoncture sanitaire.

Si la lassitude des professionnels de santé est réelle, l’analyse plus détaillée des résultats de cette consultation menée fin avril 2021, confirme que la source de leur démotivation se fonde largement sur la dégradation des conditions d’exercice de leur métier. Accélération des rythmes de travail, manque d’effectifs, déresponsabilisation par des process inadaptés, manque de reconnaissance, tâches inappropriées dans des conditions de travail éprouvantes parfois ingrates... ces motifs expliquent l’envie des infirmiers de changer de métier.

En vérité, ces constats ne sont que la conséquence d’un contexte professionnel largement envahi par le poids des procédures, des contrôles et des chiffres. L’approche gestionnaire a pris le dessus dans le quotidien des soignants sur le soucis du soin et de l’attention au patient. La crise sanitaire n’est donc pas la cause de ces désengagements, elle n’en est que l’amplificateur.

Spirale de l'optimisation

Publicité

Cette tendance vers une approche purement comptable du travail n’est pas nouvelle, elle n’est d’ailleurs pas l’apanage du milieu hospitalier et traverse aujourd’hui des pans entiers du monde professionnel. Les actifs se trouvent progressivement embarqués malgré eux dans une gestion de processus plus que de responsabilités.

A tous niveaux, opérateurs comme cadres sont pris dans une spirale de l’optimisation de leur travail qui aspire toutes les attentions individuelles et collectives. Les organisations détournent ainsi leurs salariés de l’objet même de leurs missions, ce qui finit inéluctablement par les priver de leur capacité d’engagement.

Dans la santé, comme dans l’éducation, ou dans l’action sociale, des professionnels qui font un travail qui a du sens éprouvent aujourd’hui le sentiment que leur métier n’en a plus.

L'argent ne suffit pas

Le Ségur de la Santé a cherché à résoudre ces constats alarmants exprimés dans le monde hospitalier bien avant que ne débute la crise sanitaire. Certains reconnaissent des efforts substantiels pour la valorisation des carrières, d’autres considèrent que les avancées sont insuffisantes. Quels que soient les effets sur les rémunérations, la réponse demeure avant tout syndicale. A savoir que les mesures n’agissent que sur les reconnaissances financières et ne traitent pas le mal-être à sa racine.

Par le passé, dans de nombreuses autres situations, dans l’industrie ou dans les services, ces traitements pécuniaires ont voulu servir d’amortisseur à des revendications qui trouvaient davantage leurs sources dans les conditions d’exercice du métier que dans les niveaux de rémunérations.

Aussi, passés les effets des premières augmentations salariales, les dysfonctionnements et conditions de travail dégradés seront toujours présents et feront rejaillir un jour ou l’autre la démotivation générale.

Regain d'intérêt

Faut-il en déduire que ces infirmiers et infirmières n’aiment plus leur travail ? Certainement pas. Les métiers du soin à la personne font partie de toutes ces professions dans lesquelles la volonté d’aider l’autre est une motivation profonde. Dans le cas particulier du secteur médical et paramédical, la finalité donne un sens très concret au travail des soignants.

On constate à cet égard durant cette crise un engouement renforcé pour les reconversions professionnelles vers les métiers de l’aide à la personne en général. Les formations de thérapeute ou aux métiers de l’accompagnement connaissent à juste titre un regain d’intérêt d’actifs en quête de sens.

Une alerte

Au delà des questions de saturation des services de réanimation, la crise sanitaire aura donc été le révélateur des réalités de la détérioration du travail des professionnels de santé. Car si le contexte actuel est anormal, il ne doit pas occulter ce phénomène profond que constitue une forme de déshumanisation du monde du travail. Celle-ci est d’autant plus incohérente dans des métiers caractérisés par une forte relation à l’humain, exercés par des professionnels engagés par vocation.

Publicité

A cet égard, c’est probablement aussi pour cette raison que le système tient. Sans cette vocation, qui a pour conséquence un dévouement sans limite, il est fort probable que la crise eu été pire que celle que nous avons connue. Le bilan révélé par cette consultation de l’Ordre national des infirmiers est donc d’autant plus inquiétant qu’il témoigne de l’immense fragilité d’une société qui ne tient plus qu’à l’engagement de professionnels à la limite de l’épuisement… Et ce serait plus largement une alerte pour les multiples autres secteurs professionnels qui se reconnaitront dans ces constats symptomatiques de la perte de sens au travail.

Laurent Polet est professeur en management et fondateur de Primaveras.

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité