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Dans l’enfer de

Manager son pote : une situation délicate

Deux collègues sont amis. Mais un jour, l'un devient le manager de l'autre. Chacun a beau vouloir prendre la situation avec maturité, on n'évite pas toujours les malentendus, les vexations, les soupçons d'hypocrisie et les cafouillages entre vie pro et vie perso. Témoignages pour trouver le bon équilibre.

Quand l'un des deux collègues devient le manager de l'autre, la situation peut être délicate, pour les deux partis.
Quand l'un des deux collègues devient le manager de l'autre, la situation peut être délicate, pour les deux partis. (iStock)

Par Fanny Guyomard

Publié le 16 avr. 2021 à 12:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Il y a vingt ans, Laurent* et Olivier* étaient de très bons potes. Les deux collègues se retrouvaient toutes les semaines sur le terrain de foot et grimpèrent même ensemble à l'autel, en témoin de mariage. Mais c'était avant qu'Olivier parte à l'étranger, gravisse les échelons, et revienne… en tant que boss. « Oui, il y a un peu de jalousie. Je suis sorti d'une meilleure école que lui et aujourd'hui c'est lui qui me donne des ordres », grince Laurent, 55 ans, qui lui reconnaît cependant le tact « de ne pas trop [l']embêter ! »

Se mettre à la place de l'autre

Quand l'un des deux collègues devient le manager de l'autre, la situation peut être délicate, pour les deux partis. Adeline* a testé les deux situations. Il y a quelques années, son amie et collègue est devenue sa cheffe, alors « quand elle fait des remarques, ça peut faire bizarre et être agaçant. Mais je me suis vite dit de s'en tenir chacune à sa fonction », assure-t-elle. Aujourd'hui, elle remplace pour quelques mois cette amie-cheffe… et elle a peur, lorsqu'elle fait des remarques à ses managés, de « passer pour une reloue ». « On trouve parfois notre chef trop expéditif. Mais quand tu deviens chef, tu te rends compte que c'est impossible de ne pas l'être ! » Quand elle reprendra sa place de managée, elle se montrera plus indulgente. Adeline continuera cette gymnastique relationnelle qui consiste à décorréler l'affection envers une personne et le travail. « Il faut admettre que c'est normal de s'engueuler et après de boire des coups ensemble, sans trouver ça hypocrite ! »

Pourtant difficile, parfois, de faire la part des choses entre le pro et le perso. Quand sa collègue depuis deux ans, et amie proche, est devenue sa manageuse, Emma* n'y a vu aucun problème : elles ont continué à se voir en dehors du travail. Les petites vexations sont apparues les vendredis, quand la cheffe pressait de rendre ses chiffres à sa subordonnée, débordée. Un jour, Emma a craqué, pointant le manque de compréhension de sa manageuse. Son amie a stoppé net leur relation et a demandé à changer d'équipe. « Elle m'a demandé comment on pouvait être amies et avoir autant de rancoeur. Mais pour moi, le taf était dissocié de notre amitié… »

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Eviter le « chantage affectif »

Pour Isabelle Rey-Millet, professeure en management à l'Essec et dirigeante du cabinet Ethikonsulting, la limite à ne pas dépasser entre le pro et le perso est le « chantage affectif ». Par exemple lorsque manager ou managé lance à l'autre : « Tu ne peux pas faire ça, je suis le parrain de ta fille ! » « Dès le départ, il faut dire que nouveau statut ne change rien à leur amitié, qu'ils peuvent continuer à faire la fête le soir mais qu'il n'y aura pas de passe-droit au travail », assure l'enseignante.

Cela suppose une « relation authentique », c'est-à-dire que les deux amis aient le « courage » de se dire les choses - « et ceci vaut avec tous les membres de l'équipe », conseille Isabelle Rey-Millet. Avant de préciser : « Les problèmes surviennent lorsqu'il y a une guerre d'égo, quand le manager écrase la personnalité de l'autre, quand le managé est jaloux de ne pas avoir été choisi ou s'il y a une remise en cause de légitimité. » A ce moment-là, selon elle, c'est au grand chef de justifier la promotion.

L'égo, à neutraliser

Il y a quelques mois, Guillaume*, 34 ans, est devenu le manager d'un ami de longue date, plus âgé. Entré dans la boîte en amont, il lui avait soufflé l'offre d'emploi il y a plusieurs années. Guillaume a alors joué la transition en douceur : « Je me suis mis un peu en retrait pour ne pas être étouffant. » Heureusement, son ami n'était pas en compétition sur son poste et avant de le décrocher, Guillaume avait déjà fait ses preuves grâce à son « leadershipnaturel ». « Je ne suis pas le seul manager, les décisions sont éclatées entre plusieurs responsables », souligne-t-il.

Alors, le jour où il prendra une décision qui déplaît à son ami, il lui expliquera pourquoi. L'amitié peut d'ailleurs faciliter la communication : « On parle la même langue et on n'a pas peur de se dire les choses », apprécie Guillaume. Le chef est également au courant des contraintes personnelles de son ami… mais doit l'être aussi des autres collègues, sous peine d'être soupçonné de faire du favoritisme.

Être trop proches peut aussi être délétère. Lorsqu'un collègue lui a déclaré ses sentiments (hélas non réciproques ! ), Emma venait d'apprendre qu'elle allait devenir sa manageuse. « Les mois qui ont suivi, il me parlait sèchement. Il niait remettre en cause ma légitimité, mais ça sonnait faux. En fait, il m'en a voulu d'avoir privilégié ma promotion à notre amitié. Alors que moi, je pensais que ça n'allait rien changer. » Il leur a fallu près d'un an pour retrouver leur complicité. Comme dans sa première histoire, le remède a été le temps.

* Les prénoms ont été changés

Fanny Guyomard

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