[Interview management] "Les managers ont un rôle clé à jouer dans les processus de transformation", assure Xavier Le Page (Akoya)
Si tout le monde s'accorde sur l'objectif - transformer l'organisation -, les meilleurs moyens pour y parvenir restent toujours un sujet de discussion, voire de débat. Le cabinet Akoya Consulting publie ces jours prochains un baromètre sur l'impact et les moyens RH mis en oeuvre dans ces processus complexes. Xavier Le Page, senior director d'Akoya, décrypte pour les lecteurs de L'Usine Nouvelle les principaux résultats de cette étude. Où il est confirmé qu'un manager compétent est un atout essentiel pour l'entreprise.
L’Usine Nouvelle. - Pourquoi avoir élaboré un baromètre appelé "Human transformation index" ?
Xavier Le Page. - Nous avons une conviction forte en matière de transformation d’entreprises. Nous nous sommes engagés pour qu’elles se déroulent de la façon la plus humaine possible. Elles ne doivent pas avoir lieu au détriment des salariés, qui en paieraient le prix sous forme de stress excessif, de fatigue ou de burn-out dans les pires cas. Pour mieux appréhender la réalité de la transformation, nous avons eu l’idée de créer un baromètre pour suivre les évolutions au fil du temps. Cette première version donne une idée du point de départ.
Avant d’aller plus loin, qu’appelez-vous une transformation ?
Il y a deux écoles à ce sujet. Certains estiment que les entreprises sont en transformation permanente, que c’est un processus continu. Ce n’est pas notre point de vue. Nous observons plutôt des transformations qui se déroulent à un rythme de plus en plus soutenu, qu’on parle de transformation du modèle économique, d’un changement de métier de l’entreprise ou encore de transformation des organisations pour améliorer leur efficacité, comme peut l’être la transformation digitale.
Un des premiers constats de votre baromètre est que les salariés d’organisations en transformation observent une surcharge du travail. Comment l’expliquez-vous ?
C’est quelque chose que nous voyons sur le terrain comme consultant et que nous avons voulu creuser avec ce baromètre. Quand on lance une transformation, il existe une phase transitoire où on parle plutôt de projet. Dans cette phase, il faudrait avoir des compétences spécifiques et des effectifs supplémentaires, sans avoir encore le moindre gain de productivité espéré à l’issue de la transformation. Dans cette phase transitoire, on observe très souvent que les entreprises n’investissent pas suffisamment, si bien que les salariés de terrain doivent faire leur ancien travail et commencer le nouveau. C’est un phénomène assez risqué, car la surcharge peut être forte alors. Quand on lance une transformation, on veut des effets rapides, on veut que ça aille vite. Le résultat est que ce surcroît de travail n’est pas assez anticipé et pris en charge.
Tout le monde aime avoir un manager qui le guide, l’accompagne, le fait grandir. On a un peu tout confondu, ce manager là et le petit chef hyper contrôlant et peu sûr de lui.
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Vous montrez que les salariés considèrent une insuffisante formation de leurs managers sur ces questions. Cela fait-il partie du problème ?
Seulement un salarié sur deux estime, en effet, que les managers sont correctement formés et accompagnés par leur hiérarchie pour mener à bien la transformation. Ce que montre le baromètre, c’est que la perception de la surcharge de travail que nous venons d’évoquer diminue quand les collaborateurs jugent que leur manager est bien accompagné. Il y a comme un effet de cascade, qui démultiplie l’investissement dans la formation des managers. S’ils sont bien formés et épaulés par les RH, ils embarqueront mieux leurs équipes. Le rôle de la fonction RH est important dans ces opérations. La transformation est une source de tensions. La résistance au changement existe, ce n’est plus à démontrer. Dans ce contexte, le manager a un rôle clé à jouer, il est une sorte de goulots d’étranglement.
Pensez-vous qu’il faille réhabiliter le rôle du manager de terrain ? Avec la pandémie et le télétravail, on a vu un début de retour en grâce après des années où on était très critique à leur égard. Comment l’expliquez-vous ?
Je crois qu’on ne peut pas parler de manager en général. Ce qui a été critiqué, parfois à juste titre, c’est la profusion de managers peu formés, sans mission claire... Typiquement, le professionnel très bon techniquement pour lequel on a trouvé cette seule voie de promotion mais qui n’a été ni accompagné ni formé et qui n’a aucune idée de ce qu’est un manager, n’est pas indispensable et peut même être une source de problèmes.
Mais on ne fait pas fonctionner une organisation de 200 000 salariés sans manager. De plus, notre activité de conseil nous montre quotidiennement ou presque que les collaborateurs aiment s’appuyer sur des managers dans leur travail. Tout le monde aime avoir un manager qui le guide, l’accompagne, le fait grandir. On a un peu tout confondu, ce manager là et le petit chef hyper contrôlant et peu sûr de lui. Cela pose la question très sensible et stratégique de la qualité des motivations à devenir manager et des formations qui leur sont dispensées lors de leur prise de fonction.
Votre étude montre l’importance d’un terme qu’on a beaucoup utilisé il y a quelques années et qui est peut-être un peu passé de mode : la vision. Les transformations semblent mieux se passer dans les entreprises où la vision est claire et partagée. Pourquoi cette évidence n’est toujours pas davantage partagée ?
Cela donne l’impression d’enfoncer une porte ouverte et pourtant notre baromètre montre que partager la vision crée de l’engagement et permet de mesurer l’impact. Au fil du temps, nous pourrons voire l’évolution. J’ai très envie de creuser ce résultat, en allant, par exemple, étudier les objectifs de performance des cadres dirigeants. Est-ce que la politique de RSE intègre des indicateurs mesurant l’impact de la stratégie de l’entreprise sur le bien être des collaborateurs ? Est-ce que faire le choix d’être une entreprise à impact ou une B Corp a un impact sur le quotidien des équipes est aussi une question qui mérite d’être étudiée. Pour le moment, cela reste à démontrer.
Il y a une sorte de mythe dans certaines organisations où le salarié seul dans son coin serait un acteur de son employabilité et demanderait les bonnes formations... Ce n’est pas le métier d’un collaborateur que d’anticiper les évolutions de son métier, mais c'est celui de la direction des ressources humaines (DRH) de l’accompagner
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Les managers qui accompagnent bien leurs équipes ne sont-ils pas ceux qui savent transcrire la vision de la direction générale à leur équipe ? Car pour le salarié lambda, la traduction concrète dans son travail de la vision d’en haut ne va pas toujours de soi. N'est-ce pas d’abord cela, un bon manager en période de transformation ?
C’est là que la formation et même l’information du manager de terrain jouent un rôle essentiel. Ce que notre baromètre a mesuré par exemple est l’impact d’une bonne communication autour de qu’on appelle le strategic workforce planning (SWC) dans le jargon RH - qu’on pourrait traduire par “planification stratégique des besoins en compétences”. Les services RH réalisent souvent ce travail. Mais la déclinaison de ce travail stratégique au plus près du terrain n'a lieu que dans une entreprise sur deux.
Pourtant, les résultats de notre baromètre indiquent que quand ce travail est fait, les salariés peuvent plus facilement se projeter. Ils savent alors quelles compétences développer, à quel horizon, et deviennent acteur de leur formation. Il y a une sorte de mythe dans certaines organisations où le salarié seul dans son coin serait un acteur de son employabilité et demanderait les bonnes formations. L’entreprise doit l’accompagner, le guider, donner une direction. Ce n’est pas le métier d’un collaborateur que d’anticiper les évolutions de son métier, mais c'est celui de la direction des ressources humaines (DRH) de l’accompagner.
Derrière vos analyses, la question posée n’est-elle pas celle éternelle du rôle de la DRH ? Est-elle une fonction support ou est-elle associée aux décisions stratégiques comme business partner, avec toutes les conséquences que cela implique ?
C’est effectivement un point clé qui est lié à la gouvernance de l’entreprise. Les RH qui sont associées à la décision stratégique ont davantage d’impact dans les questions de transformation. En outre, leur action auprès des collaborateurs génère beaucoup plus de satisfaction.
Il faut sortir de la vision où les RH sont considérées comme un chef du personnel amélioré et où on les consulte une fois la décision stratégique prise. La crise du Covid a montré leur importance. Il faudra observer de près ce qui va se passer à la sortie de cette dernière.
Justement, la crise du Covid - si elle n’a pas été à proprement parler une transformation de l’entreprise - a obligé les entreprises à changer très vite. Peut-on en tirer des enseignements ?
Ce qui est intéressant c’est la façon dont elle a forcé la pratique du télétravail. Il y a eu en quelque sorte un test de réalité, qui a balayé toutes les réserves et les objections. Le télétravail est possible en France. 80 % des salariés que nous avons interrogés considèrent qu’il offre de bonnes conditions de collaboration dans l’entreprise.
Si un manager n’arrive pas à bien manager en situation de télétravail, le problème n’est vraisemblablement pas le télétravail mais le manager lui-même, et je doute qu’il soit un bon manager en présentiel. Le télétravail va emporter une transformation en profondeur des modes de collaboration, de travailler et de manager dans les entreprises. Ce sera un phénomène que nous pourrons suivre avec notre baromètre.
(1) L'intégralité de l'étude peut être téléchargée ICI
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