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Au secours ! Les micro-réunions envahissent nos agendas

La pandémie a signé l'arrêt de mort des conversations informelles dans les couloirs du bureau. Ces dernières ont été remplacées par des petites réunions en visio qui s'enchaînent et... empêchent de travailler vraiment.

La visionite a remplacé la réunionite.
La visionite a remplacé la réunionite. (iStock)

Par Hélaine Lefrançois

Publié le 22 mars 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Dans le monde d'avant, Pierre* glanait des informations sur l'avancement de son projet devant la machine à café. Ou profitait d'un trajet en ascenseur pour expliquer un problème à son manager. Avec le passage brutal au télétravail, ces discussions informelles se sont transformées en réunions planifiées, face caméra.

Dans l'entreprise de ce cadre parisien, la visionite a naturellement remplacé la réunionite. Et l'optimisation de l'outil Microsoft Teams a aidé la visio à s'imposer comme principal outil de communication, au détriment du bon vieux coup de file. Même les « points rapides » qui se faisaient spontanément au téléphone sont passés en visio et « sont souvent plus longs » note le trentenaire.

« Même pas le temps d'aller aux toilettes » 

La spontanéité. C'est sans doute ce qui manque le plus à Sophie*. « Si on veut appeler quelqu'un, on passe par Teams et si la personne est occupée, on bloque un créneau dans l'agenda », détaille la responsable communication d'un grand groupe parisien. La faute au présentéisme et à la culture de l'oral « très ancrés, surtout dans les grandes organisations, estime Caroline del Torchio, directrice au sein du cabinet de conseil Identité RH et co-autrice de 10 clés pour préparer mon entreprise au travail à distance (Eyrolles, janvier 2021). Quand on a besoin d'échanger, le réflexe c'est d'aller voir le collègue, le manager. Le nouveau réflexe, c'est d'organiser une réunion. »

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Depuis mars 2020, l'agenda d'Anna*, 39 ans, ne désemplit pas. Cadre dans un grand groupe d'assurance, elle enchaîne les réunions à distance de 9h à 18h. « Parfois, je n'ai même pas le temps d'aller aux toilettes, souffle-t-elle. On colle des meetings de 30 minutes pour des questions ad hoc, pour avoir une update sur un projet, ou juste pour suivre un lancement de fonds alors qu'un simple fichier suffirait ! », regrette-t-elle. Pourtant, avant la pandémie, son entreprise autorisait ses employés à faire deux jours de télétravail par semaine. Le passage au « full remote » a tout changé, « comme si le meeting était devenu le seul moyen de partager l'information alors qu'on a plein de supports. »

Des journées « fragmentées » et improductives

Pire, ces réunions représentent une charge de travail supplémentaire. « Il faut les préparer et faire des compte-rendus. Donc une question qui aurait pu être abordée en 5 minutes au bureau se transforme en 3 heures de travail », se désole-t-elle. Pour « rattraper ce temps perdu », la mère célibataire bosse le soir et le week-end.

Difficile de produire quand les journées sont « fragmentées » en une myriade de petits points. Sophie a trouvé une parade : elle se réserve des « créneaux de production » sur son agenda en ligne. Comme ça, ses collègues ne calent pas de réunions sur ces plages horaires. Ces pauses dans un tunnel de visios sont d'autant plus précieuses qu'elles permettent d'endiguer la « Zoom fatigue ». Car les vidéoconférences à répétition augmentent le stress du télétravailleur, selon une étude récente de l'Université de Stanford.

Alors pour mieux travailler, faisons moins de visios ? Pas si simple, répond Aurélie. La cheffe de projet dans une société d'informatique à Rennes rêverait de s'isoler virtuellement pour avancer sur ses rédactions de devis, ses plannings, ses budgets. Pour l'instant, elle ne peut pas faire l'économie des « points de 15-20 minutes » qui lui servent à gérer son équipe et rendre des comptes à ses supérieurs.

Depuis janvier, la cadre de 31 ans travaille sur un gros projet, monté à distance, qui rassemble une soixantaine de collaborateurs. Certains viennent d'être recrutés : ils n'ont jamais mis un pied dans l'entreprise et ne se connaissent pas. Aurélie fait le pont entre eux. « C'est important pour la cohésion de l'équipe », explique-t-elle. Comme beaucoup de managers, elle fait aussi du « suivi psychologique ». « Les gens ont tendance à se mettre plus de pression en télétravail », constate-t-elle.

Le défi du management à distance

Pour d'autres managers, organiser des points réguliers, même courts, permet de garder le contrôle, selon Caroline del Torchio. « Le développement forcé de l'autonomie de leurs collaborateurs les questionne sur leur rôle et leur valeur ajoutée, analyse-t-elle. Les réunions dites de coordination sont aussi une manière pour eux de se rassurer ».

Le risque, c'est de frôler l'overdose. « Le point de vérification à 19h quand tu as enchaîné les réunions toute la journée, c'est trop », dit Pierre qui a souffert de l'« hémorragie de visios » lors du premier confinement. Depuis, il a demandé à revenir quatre jours par semaine au bureau. Si une grande partie de ses interlocuteurs restent en télétravail, des leçons ont été tirées. Son équipe a « ritualisé une plage de travail en commun qui permet d'échanger sur le projet. Entre temps, s'il y a des choses urgentes à traiter, on privilégie le mail ». Pour lui qui avait travaillé dans une start-up où beaucoup de choses se discutaient sur Slack, c'est un bon « compromis entre le traitement au fil de l'eau et la réunionite ».

« Comme on se dirige vers un travail en mode hybride, il est essentiel de développer l'écrit et la communication asynchrone », insiste Caroline del Torchio. Les journées en présentiel, précise-t-elle, doivent être mises à profit pour se parler. Car, comme le dit Pierre, « une bonne pause café peut être plus efficace qu'une réunion formelle ».

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* Les prénoms ont été changés

Hélaine Lefrançois

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