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Elles assument peu à peu d'être des « femmes quotas »

Il y a dix ans, les débats sur l'instauration des quotas dans les conseils d'administration avaient été animés. Aujourd'hui, l'idée de réserver des sièges des comités exécutifs aux femmes suit son chemin dans une quasi-unanimité. Une nouvelle génération de femmes leaders revendique même le fait d'avoir bénéficié de cette forme de sélection.

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(iStock)

Par Florent Vairet

Publié le 22 févr. 2021 à 07:04

La loi instaurant des quotas en faveur des femmes dans les conseils d'administration fête cette année ses dix ans, et tout le monde s'accorde à dire que c'est un succès. Tout le monde ou presque. D'irréductibles Gauloises n'en sont toujours pas convaincues. Les plus vaillantes féministes n'en reviennent pas : « Comment osent-elles ! ? » Anna Notarianni, présidente de Sodexo France, fait partie de ces rares sceptiques qui s'affichent. Si elle reconnaît que les quotas ont bien fonctionné pour les conseils d'administration, elle soutient que c'est une mauvaise idée de les étendre aux comités exécutifs. « Je réagis en entrepreneure : pourquoi imposer une contrainte qui touche au coeur du réacteur, la gouvernance d'entreprise, donc du business ? », déclarait-elle au site Marie Claire en mars dernier. 

Dans ce combat, elle trouvera à ses côtés Pauline Laigneau. La fondatrice de la marque de joaillerie Gemmyo et créatrice du podcast Le Gratin se méfie profondément de la discrimination positive, « qui a plus d'effets pervers que l'inverse ». Elle pointe le risque de dévalorisation, de soupçon insupportable sur des femmes qui ont connu le succès à force de travail et de courage.

Le camp du « contre » s'est dégarni

A Station F, l'incubateur phare de la tech française, on se refuse toujours à sélectionner une femme parce qu'elle est une femme. « Faire de l'affichage, ce n'est pas tenable sur la durée. Et ça n'aide pas à faire avancer les mentalités. Rajouter des femmes sans leur donner la même latitude qu'aux hommes, c'est presque pire », craint Roxanne Varza, la directrice des lieux, qui accueille 45 % de start-up fondées ou cofondées par des femmes dans ses cinq programmes d'accompagnement. La preuve qu'on peut faire autrement : priorité au sourcing pour susciter plus de candidatures féminines, et donc d'entrepreneuses sélectionnées in fine.

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Au-delà de ces quelques exemples (et on a bien cherché !), le camp « antiquota » s'est dégarni au fil des ans. Tandis qu'en face les proquotas ont gagné du terrain. Il faut dire que la loi Copé-Zimmermann a réussi l'exploit de placer la France en tête du peloton des pays dont les conseils d'administration sont les plus paritaires, avec 46 % d'administratrices dans les entreprises cotées (SBF 120). De quoi convaincre les plus réticentes de l'efficacité de la loi et donc d'étendre ces quotas aux comités exécutifs, où, dans le SBF 120, les femmes sont seulement 22 % en moyenne à siéger.

Elles se sont converties aux quotas

Même de ferventes partisanes de la méritocratie ont remisé épée et bouclier pour se ranger du côté des quotas. C'est le cas d'Anne Méaux, présidente et fondatrice de la puissante agence en communication Image 7. « Par orgueil, j'étais contre, puis j'ai évolué parce qu'il faut bien faire bouger les choses », confiait-elle sur France Inter en décembre 2019. Rachida Dati aussi a changé son fusil d'épaule. Elle craignait le phénomène des « femmes gadgets » mais reconnaît aujourd'hui que « sans contrainte, pas d'avancées ».

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, est elle aussi devenue une proquota archiconvaincue. A l'époque du débat sur ladite loi, celle qui était ministre de l'Economie se disait favorable à des quotas, mais temporaires. « Il faut que les quotas soient réalistes à mettre en oeuvre, qu'ils s'imposent de façon graduelle et qu'ils soient accompagnés d'un travail de formation. » Autant de pincettes qui, dix ans plus tard, ont disparu : « Je suis 100 % favorable aux quotas et à la discrimination positive », martèle désormais celle qui affirme que, à compétences égales, elle recrute une collaboratrice.

A l'heure où tout laisse à penser que des quotas vont être instaurés dans les comex, les voix dissonantes de 2010 ont quelque peu disparu du débat public. « Il est évident qu'il est temps de les imposer [pour les comex], avec progressivité, sur dix ans, pour constituer les viviers », écrivaient 120 responsables de réseaux féminins et entrepreneures dans une tribune publiée dans le « JDD », le 30 janvier dernier. Même le patron de Bercy s'est rangé de leur côté. « Nous avons besoin de quotas dans les instances dirigeantes des entreprises pour établir réellement l'égalité », a déclaré Bruno Le Maire en janvier.

En dix ans, la loi Copé-Zimmermann a réussi le tour de force de rendre « old school » les détracteurs des quotas. « Compter et compter encore. Non seulement cela fait preuve mais encore cela emporte désormais la conviction, analyse Geneviève Fraisse, philosophe de la pensée féministe, directrice de recherche émérite au CNRS.

La difficulté d'endosser le titre de « femme quota »

Cela dit, défendre les quotas dans l'absolu est une chose, assumer d'être une « femme quota » en est une autre. Quand Kat Borlongan est nommée en 2018 par le gouvernement à la tête de la French Tech, elle ne veut pas passer pour celle qui coche toutes les cases de la diversité. Etant une femme, d'origine philippine, elle a alors trop peur qu'on ne remette en cause sa légitimité. Elle a, depuis, changé d'avis, car il lui apparaît urgent de parler de diversité devant les inégalités béantes de la tech française. Et tant pis si le doute apparaît. « Au début, j'ai tout fait pour échapper à l'image de la 'femme quota'. Mais j'ai progressivement pris conscience de la responsabilité qui était la mienne. En me voyant, des jeunes femmes immigrées, avec un accent, pourront se dire que la porte leur est ouverte. C'est dur, mais c'est notre rôle et on doit l'assumer », confie celle qui a fait de l'inclusion l'une de ses priorités pour la French Tech.

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie, a elle aussi brisé un tabou, en janvier, devant l'Assemblée nationale : « En tant que femme politique, j'assume de dire que je suis une femme quota. Si on n'avait pas cherché la parité au sein du gouvernement, je n'aurais pas été nommée. » Une démarche militante qui fait écho à la quarantaine de dirigeantes allemandes, dont la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui affirmaient à la une du magazine « Stern », fin 2020 : « Ich bin eine Quotenfrau » (« je suis une femme quota »). Et la ministre française de poursuivre : « Ma génération de femmes quotas prouvera par ses qualités professionnelles que les femmes ont naturellement leur place aux postes de responsabilités. »

Une position résolument déterminée qui peut alterner avec une vision beaucoup plus pragmatique :« Avec ou sans quota, les femmes ont constamment le syndrome de l'imposteur. Autant qu'elles prennent les postes qu'elles méritent », conclut Anne Lalou, fondatrice et directrice de la Web School Factory.

Florent Vairet

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