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Confinement : la déprime des chief happiness officers

En mal de team building à organiser mais aussi de reconnaissance, dans une période où la santé mentale des employés a plus que jamais besoin de soutien, les chief happiness officers défendent leur utilité.

Les chief happiness officers (CHO) luttent pour ne pas être renvoyés aux placards, et défendent leur raison d'être, a fortiori en pleine crise.
Les chief happiness officers (CHO) luttent pour ne pas être renvoyés aux placards, et défendent leur raison d'être, a fortiori en pleine crise. (iStock)

Par Ariane Blanchet

Publié le 11 déc. 2020 à 13:00Mis à jour le 16 déc. 2020 à 11:33

« Adieu legos, kaplas et autres formations infantilisantes ayant pour fonction de révéler les leviers de l'intelligence collective », se réjouissait Julia de Funès dans une tribune publiée aux Echos Start en mars dernier . Pour la philosophe, le virus nous a permis d'en anfinir avec les team buildings grotesques et autres « artifices du bonheur » qui camouflent, selon elle, les vrais tenants et aboutissants du bien-être en entreprise. Aujourd'hui, plus de poudre aux yeux, le bonheur au travail doit être une affaire sincère.

Pour le malheur des chief happiness officers ? Ce métier, dont l'objectif est de cultiver le bien-être en entreprise , est passé sous les radars, et son utilité est même questionnée, dès lors que les entreprises n'ont qu'une seule priorité : affronter la crise, se maintenir à flot. « On avait très peur de ne pas être reconduits. Et pour les chief happiness officers en free-lance, ça aura été une période encore plus difficile », exprime Lia Bazin, office manager indépendante et fondatrice de l'Office Manager Summit, premier salon professionnel pour office managers.

« On a plus que jamais besoin de nous »

Les chief happiness officers (CHO) luttent pour ne pas être renvoyés aux placards, et défendent leur raison d'être, a fortiori en pleine crise. « Ce métier est trop souvent dévalorisé, réduit à l'installation d'un baby-foot et l'organisation de séances de yoga, alors que c'est beaucoup plus que cela », martèle Angelika Mleczko, consultante en qualité de vie au travail et formatrice au métier de chief happiness officer.

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Au début de la crise, les CHO ont souvent enfilé leur casquette RH pour venir en renfort d'un service débordé, d'après Lia Bazin, qui poursuit : « Ensuite, on a rapidement eu un rôle de psychologue, de coach, en appui aux salariés isolés… En somme, des office managers à la maison ». La contrainte du télétravail, et les difficultés qu'elle induit, aura même parfois permis de mieux comprendre les contextes personnels de chacun, comme la jeune femme en témoigne : « J'ai appris que l'un des collaborateurs avait trois enfants, et comprends mieux maintenant pourquoi finir au-delà de 18h est délicat pour lui ».

Des considérations qui n'avaient pas vu le jour durant le « monde d'avant ». D'après Angelika Mleczko, la crise prouve l'importance d'un garant de la qualité de vie au travail qui dépasse la simple organisation de team building, à l'heure où la santé mentale des salariés est fragilisée par le télétravail et l'actualité morose . « Jusqu'à présent, on a toujours travaillé sur le côté superficiel. Aujourd'hui, quand il y a des managers toxiques, une organisation dysfonctionnelle, les entreprises ne peuvent plus être en silence radio, car avec le Covid, tous les dysfonctionnements se voient. »

De nouvelles fédérations pour défendre le métier

La crise a aussi eu pour effet de porter davantage les revendications de ce jeune métier. Isolés de leurs entreprises avec la crise, des CHO se sont fédérés cette année pour défendre leur utilité, au sein du Cercle des Office Managers (qui a doublé cette année pour atteindre 4.000 membres au total) ou du Collectif Humain des Organisations, créé cet été.

Cette année a aussi été particulière pour les CHO qui ont dû redoubler de créativité pour mettre en place des actions de toutes sortes en 100 % digital, comme pour Cora Payancé, de Kiss Kiss Bank Bank. Lors du premier confinement, elle crée une newsletter quotidienne pour proposer des bons plans pour s'occuper à la maison, et lance aussi des interviews confinées. « Ces interviews ont rencontré un franc succès, puisque 80 % des collaborateurs ont participé. J'ai le sentiment qu'en cette période spéciale, les gens se sont reconnectés au perso. »

Reste que les apero-zoom peinent à remplacer dignement des temps forts de l'entreprise comme des pots de départ . Le quotidien d'une entreprise comme Kiss Kiss Bank Bank était habituellement ponctué de divers petits-déjeuners et afterwork à chaque anniversaire, arrivées et cours de Yoga. Ces événements se sont maintenus à distance, mais sans avoir la même saveur.

Le moral mis à l'épreuve

« Il est loin d'être évident de rassembler, soutenir, quand on ne sait même pas si son propre job va être maintenu », souligne Angelika Mleczko. Effectivement, du côté des recrutements, l'ambiance est morose : la baisse d'activité du cabinet de recrutement pour office manager et CHO My Office Company confirme cette tendance, alors que son activité n'a cessé de progresser depuis sa création il y a trois ans. « Cette année, les entreprises sont plus prudentes, proposent moins d'offres et celles-ci sont souvent des CDD et free-lance », note Joséphine de Lorgeril, la fondatrice, qui a vu à l'inverse l'afflux de candidats, des CHO, souvent juniors, licenciés en raison de la crise.

« Les CHO en recherche d'emploi réfléchissent aussi plus que d'ordinaire avant d'accepter une offre », poursuit Joséphine de Lorgeril. Et pour cause : difficile de s'intégrer à une entreprise à distance, qui plus est quand son coeur de métier repose sur les relations humaines. Et difficile aussi de connaître les retombées de son travail. « Ce qui est dur à distance, c'est qu'on n'a pas de signe concret de la réussite de notre travail : les visioconférences ne permettent pas de bien discerner les émotions non verbales », souligne Lia Bazin.

Surtout, les CHO doivent encaisser des situations psychologiques difficiles pour les salariés malmenés par la crise et le télétravail, tout en gérant leur propre quotidien lui-même bouleversé. Une bien lourde charge sur les épaules de cette espèce de G.O. du Club Med, comme s'amuse à l'appeler Lia Bazin, qui se doit d'être toujours souriante et dynamique. « Lors du premier confinement, j'étais enceinte, angoissée, et c'est bien la première fois que j'ai montré cette fragilité », confie l'office manager.

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Mais Joséphine de Lorgeril ne s'inquiète pas pour les chief happiness officers. « Nos candidats ne nous appellent pas tous les quatre matins en pleurant ! ». Eux qui sont, selon elle, positifs et combatifs, des traits de caractère nécessaires pour faire ce métier. Surtout en temps de crise.

Ariane BLANCHET

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